Veolia / Suez : tout comprendre du deal M&A de l’année

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Le rachat de Suez par Veolia est le deal M&A de l’année. Cet article revient sur ses différentes dimensions : revue stratégique des actifs du groupe Engie, la stratégie d’enchère d’Engie, le rôle de l’Etat dans l’affaire, les tactiques d’anti-OPA de Suez et les derniers rebondissements.

Pour aller plus loin, vous pouvez retrouver une étude de cas détaillée et complète par un ex-banquier de Lazard sur la plateforme Training You.

La revue stratégique des actifs du groupe Engie : une cession de Suez est envisagée

Tout commence le 31 juillet 2020 par un communiqué de presse d’Engie. Le groupe veut se recentrer sur les énergies renouvelables et annonce une revue stratégique de ses actifs. Concrètement, Engie étudie des opportunités de cessions d’actifs non stratégiques et de certaines participations minoritaires. Pour de nombreux investisseurs, l’annonce ne fait aucun doute : la participation de 31,7% dans Suez est visée !

A partir de cette date, les grandes manœuvres s’enclenchent. L’occasion est trop belle pour Antoine Frérot, le patron de Veolia, qui rêve de mettre la main sur son concurrent historique. Il mandate rapidement 3 banques d’affaires pour étudier une potentielle offensive sur Suez. Les équipes se mettent au travail au cœur de l’été à un moment où les banquiers ont davantage tendance à penser à leur repos estival de quelques jours. Sur le pont, on retrouve Messier & Associés (dont le fondateur Jean-Marie Messier est aussi l’ancien patron de Veolia, anciennement Vivendi Environnement), Perella Weinberg (dirigé à Paris par David Azéma qui avait failli devenir PDG de Veolia quelques années plus tôt) et Citi (avec comme cheffe de file l’ancienne patronne du MEDEF Laurence Parisot).

Les offres de Veolia sur Suez dans le cadre de la stratégie d’enchère d’Engie

La première offre à 15,5 euros

Pendant tout le mois d’août, les réunions s’enchainent. Les discussions entre les différents conseils de Veolia se multiplient. Et le couperet tombe le dimanche 30 août 2020. Veolia publie un communiqué de presse dans lequel il propose d’acquérir 29,9% de Suez auprès d’Engie « en vue de créer le grand champion mondial français de la transformation écologique ». Cette première offre s’élève 15,5 euros par action. Et son financement se réalise entièrement en numéraire. Elle représente une prime de 50% sur le cours de clôture de Suez du 30 juillet non impacté par l’annonce des intentions d’Engie. En pratique, c’est parfaitement vrai. En théorie, beaucoup moins. Car la valeur du titre Suez a diminué de presque 30% depuis mars 2020 et l’aggravation de la crise sanitaire en France. Enfin, Veolia affirme sa volonté de déposer une OPA sur le reste du capital de Suez si Engie accepte de lui vendre sa participation.

Les réactions des différents protagonistes sont rapides. Dès le lendemain, le board de Suez exprime sa vigilance face à une offre non sollicitée « porteuses de grandes incertitudes » pour l’avenir du groupe. Traduction : l’offre est inamicale et nous ne l’acceptons pas. Puis Engie répond par communiqué le 17 septembre 2020. Le groupe demande une amélioration des termes de l’offre et se déclare ouvert aux alternatives. Premièrement, la prime de 50% est largement artificielle pour Engie comme nous l’avons mentionné. Deuxièmement, le groupe profite du contexte hostile entre Veolia et Suez pour demander plus.

La deuxième offre à 18 euros

La période devient assez intense pour de nombreuses banques d’affaires de Paris. En effet, plus d’une dizaine de banques travaillent sur le dossier depuis la rentrée. Côté Veolia, nous avons déjà mentionné Messier Marris & Associés, Perella Weinberg et Citi. De l’autre côté, quatre banques assurent la défense de Suez : Rothschild & Co, Société Générale, Goldman Sachs et J.P. Morgan. Mais ce n’est pas tout. Engie est épaulé par Lazard, Credit Suisse, BNP Paribas et Centerview (qui conseille le board). Enfin, l’Etat, actionnaire d’Engie à 24%, est conseillé par Barclays.

La stratégie d’enchère d’Engie est rapidement gagnante. Veolia fait une seconde offre le 30 septembre 2020 à Engie à un prix de 18,0 euros par action. Sur cette base améliorée, la participation de 29,9% d’Engie dans Suez est valorisée à 3,4Mds€ contre (seulement) 2,9Mds€ avant. De plus, Antoine Frérot s’engage à ne pas lancer d’OPA inamicale sur Suez. Le board d’Engie accepte cette seconde offre, malgré l’opposition des représentants de l’Etat (actionnaire minoritaire d’Engie donc représenté au board) et la désapprobation de Suez.

Le rôle de l’Etat dans l’affaire Veolia / Suez

L’Etat a en effet joué un rôle ambigu depuis le début de l’affaire Veolia/Suez.

D’abord, l’Etat est impliqué dans l’opération en tant qu’actionnaire minoritaire d’Engie via l’APE (Agence des Participations de l’Etat). À ce titre, il a son mot à dire sur la stratégie d’Engie et sur la cession d’un actif comme Suez.

Ensuite, l’Etat est client à la fois de Veolia et Suez à travers les collectivités locales qui assurent le service public du traitement de l’eau et des déchets sur le territoire national. Il doit donc veiller à ce que le prix du service n’augmente pas à la suite du rapprochement. Et c’est la mission de l’Autorité de la Concurrence (organisme public mais indépendant) d’apprécier si la dynamique concurrentielle sera maintenue sur ce marché suite au rapprochement entre ses deux acteurs principaux qui possèdent chacun une part de marché élevée.

Enfin, l’Etat est garant des équilibres économiques et sociaux en France. Certes l’idée d’un rapprochement entre deux acteurs nationaux pour créer un leader français est attractive, mais l’impact social d’une fusion constitue aussi un vrai danger pour tout gouvernement. Le deal Veolia/Suez signifierait la mise en place de synergies élevées dont la majorité concerne les coûts. Alors que l’élection présidentielle de 2022 se rapproche, un plan social de grande ampleur chez Suez passerait certainement mal dans l’opinion publique.

Les tactiques de défense anti-OPA de Suez face à l’offensive de Veolia

Ensuite, Suez a aussi multiplié les tactiques de défense anti-OPA.

D’abord, Suez a fait avaler une « pilule empoisonnée » à Veolia en logeant sa filiale Eau France dans une fondation aux Pays-Bas, ce qui rend difficile sa cession. Or, la cession de certains actifs est précisément la condition nécessaire pour obtenir l’accord de l’Autorité de la Concurrence.

Ensuite, Suez a lancé le « chevalier blanc » Ardian dans la bataille. Le fonds d’investissement fera une première contre-offre le 30 septembre 2020 (le même jour que l’offre améliorée de Veolia) puis une seconde quelques semaines plus tard le 17 janvier 2021 avec le fonds intra américain GIP. Même si le board de Suez soutient ces offres, elles restent imprécises et ne parviennent pas à freiner les ambitions de Veolia.

Enfin, les salariés du Suez ont saisi la justice en raison de l’absence de consultation par Veolia de leurs instances représentatives avant de lancer son offre. Le tribunal de Paris suspendra ainsi temporairement l’opération dès le 9 octobre 2020 puis le jugement sera confirmé par la Cour d’Appel de Paris le 19 novembre 2020. Ces décisions vont empêcher Veolia de poursuivre l’opération et de lancer son OPA sur le reste du capital.

Veolia / Suez : le deal M&A a finalement eu lieu

Mais le feuilleton connait de nouveaux rebondissements début 2021.

Des négociations difficiles entre Veolia et Suez

Le 7 janvier 2021, Antoine Frérot adresse un courrier à Suez pour rappeler les principaux termes du projet : une OPA à un prix de 18,0 euros par action, des synergies estimées à 500m€ annuelles avec de fortes complémentarités industrielles entre les deux groupes et l’engagement de maintenir l’emploi en France (enjeu fort pour les salariés de Suez et l’Etat).

Le 3 février 2021, le tribunal de Nanterre contredit le tribunal de Paris en affirmant que les instances représentatives de Suez n’ont pas à exiger l’ouverture d’une procédure d’information consultation suite à l’opération. Selon le juge, Veolia n’est pas devenu actionnaire majoritaire après l’opération car il ne détient que 29,9% des titres de Suez. De plus, l’engagement d’amicalité pris par Veolia impliquerait qu’il ne soit pas encore en mesure de déposer son OPA…

Raté ! Malgré les suppositions du juge de Nanterre, Veolia n’attendra pas très longtemps après cette décision. Dès le 7 février 2021, le groupe annonce une OPA sur les 70,1% du capital de Suez qu’il ne détient pas. Le prix de l’offre s’élève toujours de 18,0 euros par action. Sur cette base, le montant de l’opération s’élève 7,9Mds€. Le tribunal de Nanterre, saisi le soir même par Suez, ordonne à Veolia de suspendre l’opération dans l’attente d’un débat au fond sur ses précédents engagements d’amicalité. Mais Antoine Frérot maintient sa position, estimant que toutes les tentatives d’amicalité engagées par Veolia se sont heurtées à l’opposition virulente de Suez.

Un accord signé entre Veolia et Suez

En avril 2021, Veolia et Suez trouvent finalement un accord. Veolia acquiert les actifs stratégiques de Suez à un prix de 19,85€ par action (et même 20,5€ par action en prenant en compte le coupon attaché). Ce prix valorise 100% du capital de Suez à 13 milliards d’euros. Dans le même temps, un consortium d’investisseurs avec les fonds Meridiam, GIP et la CDC rachète certains actifs de Suez (les activités Eau et Propreté France et certains actifs internationaux) pour former une nouvelle entité.

Début 2022, Veolia réussit son OPA sur Suez. A l’issue de l’offre, En effet, à la suite des différentes périodes d’ouvertures, Veolia ramasse plus de 90% des actions auprès des actionnaires de Suez et retire le titre de la cotation.

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