Lazard, la boutique qui a inventé le M&A moderne
« Pour beaucoup, Lazard est la maison qui a inventé la banque d’affaires moderne, celle des fusions-acquisitions » écrit en 2006 Martine Orange dans son « best-seller » dédié à la banque Ces Messieurs de Lazard. Pourquoi donne-t-on aujourd’hui à Lazard cette importance ?
L’histoire de la banque Lazard résonne comme celle d’une « saga familiale » débutée au milieu du 19ème siècle et qui se poursuit aujourd’hui. Lancée par les « frères Lazard » en 1848, la petite quincaillerie deviendra en 150 ans d’histoire hors du commun l’une des marques les plus reconnues de la banque d’affaires. A la fois admirée et redoutée, Lazard a enchainé les coups d’éclats, les succès mais aussi les faux pas et les déclins. Surtout, elle a conquis le monde à force de travail (dealflow exceptionnel) et grâce à la vision de plusieurs associés-gérants qui ont fait l’histoire de la banque (personnalités clés). Surtout, elle a fortement influencé le capitalisme mondial et évidemment participé à l’émergence du M&A moderne.
Dans cet article, nous aborderons d’abord les origines de Lazard, puis la construction progressive du « mythe » autour de la banque au fur et à mesure de son développement, enfin la consécration de Lazard comme banque de référence dans les M&A aujourd’hui. Aussi, nous évoquerons à la fin quelques « grands banquiers » de Lazard qui ont largement contribué à l’histoire de la banque.
Les origines de Lazard : une banque entre la France et les Etats-Unis
Lazard Frères est fondée en 1848 par trois frères lorrains (origine française de la banque) à La Nouvelle-Orléans en Louisiane (origine américaine de la banque). Précisément, Alexandre, Lazare et Simon Lazard émigrent aux États-Unis et y lancent une activité de négoce (mercerie, quincaillerie, épicerie, etc.). La fratrie est rapidement rejointe par Elie (le 4ème frère Lazard) et leur cousin Alexandre Weill. Et l’activité initiale de négoce est progressivement remplacée par le service financier. En effet, dans le contexte de la ruée vers l’or de l’époque, la famille s’installe à San Francisco en Californie pour stocker l’or des pionniers, organiser les transferts d’or vers les familles en France et financer ponctuellement des premiers clients. Ce sont les débuts de la banque Lazard !
Le mythe Lazard : une banque au cœur de l’économie et de la finance mondiale
Lazard occupe rapidement une place prépondérante dans les milieux d’affaires français et américains. A la fin du 19ème siècle, depuis ses différentes « maisons » (Paris, New York et Londres), elle s’est imposée comme une référence de la finance mondiale. Et à partir du début du 20ème siècle, la banque sera intimement liée à l’évolution du capitalisme moderne.
Des opérations spectaculaires
D’abord, Lazard est intervenue lors de nombreuses opérations spectaculaires. A la fois au service des gouvernements et des entreprises.
Pour les gouvernements (et municipalités) :
- Défense du « franc » en 1924 contre la spéculation internationale. La banque intervient sur les marchés des changes pour le compte du gouvernement de Raymond Poincaré
- Remise en ordre des finances de la ville de New York. Elle était en quasi-faillite en 1975 (avec l’entregent de Félix Rohatyn)
- Conseils des gouvernements de Jacques Chirac et Michel Rocard lors des grandes privatisations de la fin des années 1980. Avec le recrutement de banquiers proches des milieux étatiques comme David Dautresme ou Georges Ralli
Pour les entreprises :
- Accompagnement de André Citroën dans la restructuration financière de sa société automobile en 1927
- Conseil lors de la création de la compagnie aérienne Air Inter en 1954
- Conseil lors de la première OPA hostile aux Etats-Unis qui opposait trois sociétés américaines à Franco-Wyoming en 1964
- Conseil du conglomérat ITT pour le rachat d’Avis en 1965
- Conseil sur le rapprochement entre Peugeot et Citroën en 1976
Une influence sur les entrepreneurs
Ensuite, Lazard a accéléré la carrière de certains « capitaines d’industrie » français (avec l’influence marquée d’Antoine Bernheim, le banquier « faiseur de roi » de Lazard) :
- Bernard Arnault quand il souhaite racheter Boussac puis lors des opérations du rapprochement entre Moët-Hennessy et Louis Vuitton. Jusqu’à sa disparition, Bernheim se plaisait à souligner les « trop petites » faveurs que Bernard Arnault lui attribuait en guise de remerciements : une réduction de 30% chez Dior, un foulard pour son anniversaire et des caisses de Moët en fin d’année…
- Antoine Riboud (patron de BSN) dans sa tentative d’OPA hostile (et ratée…) sur Saint-Gobain en 1968 mais aussi dans ses futures acquisitions qui donneront naissance au groupe Danone actuel
- Vincent Bolloré dans la construction de son empire
- François Pinault dans la croissance de son groupe avec l’acquisition du Printemps
La consécration de Lazard : une banque M&A référence dans le monde
Le succès dans les années 1980
Lazard a régné sans partage sur les M&A dans les années 1980 et 1990 en France. D’ailleurs, elle échappe « miraculeusement » à la nationalisation en 1981. Cela ne sera pas le cas d’autres banques comme Paribas ou Rothschild. Cette décision s’explique grâce aux relations amicales entre André Meyer et Jacques Attali, le jeune conseiller du président élu François Mitterrand. Malgré un petit « passage à vide » dans les années 2000 (concurrence féroce de Rothschild & Co, des banques américaines et des nouvelles boutiques, rivalités internes, etc.), la maison est aujourd’hui l’une des banques d’affaires les plus prestigieuse au monde. En France, sa réputation est intacte. D’ailleurs, Lazard « ne se refuse pas » pour de nombreux étudiants !
Un leader sur la place au niveau mondial
Aujourd’hui, Lazard, c’est avant tout une banque d’affaires indépendante (une « boutique » dont le seul métier est le conseil financier) au milieu des grandes banques universelles, qui maintient une forte dimension internationale (présence dans plus de 25 pays) et qui propose 5 principaux types de conseils :
- M&A (son activité historique)
- Restructuration (dans le cadre de situations spéciales)
- Levée de capitaux (conseil en financement en equity et en dette)
- Politique économique et financière. C’est la fameuse activité de conseil aux gouvernements. Elle se lance en 1974 dans le cadre de la « troïka » avec Lehman Brothers et Warburg. Et elle reste aujourd’hui une spécialité de Lazard
- Gestion d’actifs (pour les clients fortunés). Elle se lance en 1953 à Londres et se nomme aujourd’hui Lazard Asset Management
Lazard est aussi entrer dans la « modernité » au tournant du 21ème siècle. Deux évènements majeurs marquent cette transition :
- Premièrement, les « trois maisons » (Paris, New York et Londres) se réunifient en 2000 à l’initiative de Michel David-Weill, après avoir repris les parts du groupe Pearson (actionnaire historique de Lazard Londres)
- Deuxièmement, Lazard fait son entrée à la bourse de New York en 2005 sous l’impulsion de Bruce Wasserstein (nommé à la présidence de la banque en 2002 par Michel David-Weill)
Actuellement, Lazard est dirigée par l’américain Peter Orszag. Il a succédé à Kenneth Jacobs en 2023. Ce dernier avait lui-même pris la place de Bruce Wasserstein à son décès en 2009.
Les banquiers de Lazard : une banque aux fortes personnalités
Lazard a forgé des personnages clés dans l’histoire des M&A qui sont à l’origine de nombreux bouleversements dans le monde des affaires.
Quelques exemples :
André Meyer
Surnommé le « Picasso de la finance », il dirige la banque pendant plus de 30 ans et y développe des métiers lucratifs comme le Venture Capital ou l’immobilier. Pour lui, « le véritable secret de Lazard, c’est de savoir garder les secrets ». Le culte de la discrétion a toujours été mis en avant par Lazard.
Felix Rohatyn
Il rejoint la banque comme stagiaire à 20 ans. Il devient associé en 1961 puis Managing Director et responsable de la branche américaine de Lazard jusqu’en 1997. Puis, il est ambassadeur des Etats-Unis à Paris.
Michel David-Weil
Entré en 1956 à 24 ans au sein de la banque et qui en devient le président en 1975, il est le « dernier empereur de Wall Street » laisse un héritage exceptionnel chez Lazard, avec en point culminant la réunification des « trois maisons » historiques de Paris, New York et Londres en 2000. Michel David Weil quitte Lazard en 2004 après un bras de fer avec l’américain Bruce Wasserstein, à qui il avait pourtant confié les rênes de la banque trois ans plus tôt.
Bruno Roger
Il rejoint la banque en 1954 à 21 ans après l’obtention de son diplôme et qui y fera toute sa carrière : gérant en 1973, associé-gérant en 1978 et président de Lazard France de 2002 à 2017. Sous l’influence de Bruce Wasserstein et sur les conseils d’Alain Minc, Bruno Roger recrute Matthieu Pigasse en 2002 qui lui succèdera comme directeur général de Lazard Paris en 2017.
Antoine Bernheim
Il est recruté par André Meyer et surnommé « le banquier faiseur de roi » ou « le parrain du capitalisme français ». En effet, il a aidé Vincent Bolloré, Bernard Arnault ou encore Francois Pinault à construire leurs empires industriels. Entré au sein de la banque en 1963, c’est lui qui invente les systèmes complexes de holding qui permettent à un actionnaire de prendre le contrôle d’un empire avec une mise de fonds réduite. Ce système sera fortement utilisé par ses clients. Dont un certain Vincent Bolloré, qui les appelle les « les poulies bretonnes ».
Bruce Wasserstein
Ancien de First Boston et légende de Wall Street, il a participé à plusieurs deals emblématiques des années 1990. Et il cède sa boutique de conseil Wasserstein Perella à Dresdner en 2000, au plus haut du cycle. Il rejoint ensuite Lazard ou il est nommé à la présidence par Michel David Weil. Cette nomination intervient devant plusieurs prétendants en interne. Comme Edouard Stern, Bill Loomis ou Jean-Marie Messier. Bruce Wasserstein impulse l’introduction en bourse de Lazard en 2005.
Mathieu Pigasse
D’abord, il est associé-gérant chez Lazard de 2002 à 2015. Puis, il est directeur général délégué de Lazard Frères à Paris à partir de 2009. Enfin, il est responsable des M&A et du conseil aux gouvernements à l’échelle mondiale en 2015 jusqu’à sa démission en 2019. En effet, il rejoint à cette date la rivale Centerview. Il figure parmi les hommes clés de l’histoire récente de Lazard pour son rôle dans plusieurs transactions importantes, y compris le sauvetage de la Grèce lors de la crise de la dette souveraine.
Kenneth Jacobs
Il rejoint la banque comme Partner en 1991 pour diriger les activités américaines de la banque. Avec lui Lazard fait son entrée sur de nouveaux marchés et ajoute dans son arsenal de métier les restructurations et conseils en investissement stratégique. Il est président entre 2009 et 2023. Peter Orszag lui succèdera.
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