M&A : les acquisitions étrangères de plus en plus sous le contrôle des États
Vous avez peut-être entendu parler des offres de rachat de Photonis par le groupe américain Teledyne, de Carrefour par le canadien Couche-Tard ou bien encore plus récemment celle du fabricant de camions italien Iveco par le groupe chinois FAW. Ces opérations ont un point commun : elles ont été soumises au contrôle des États dans le but de « sauvegarder les intérêts essentiels de sécurité ».
Elles sont de plus en plus nombreuses et c’est une tendance confirmée par une étude de l’OCDE publiée au début du mois de mai. En effet le rapport sur l’évolution des politiques de l’investissement dans 62 économies montre que près de 60% des acquisitions étrangères sont filtrées par les États. C’est une proportion qui a atteint un record en 2020, avec plus de 50 nouveaux dispositifs qui ont été adoptés par les États membres de l’organisation internationale, un nombre qui n’avait encore jamais été atteint.
Introduction et réforme des politiques en matière d’acquisition et de propriété visant à sauvegarder les intérêts essentiels de sécurité (1990 à la mi-mars 2021)
Une tendance M&A qui ne date pas d’hier puisque ce nombre ne cesse d’évoluer à la hausse depuis 1990, date à laquelle un peu plus de 35% des acquisitions étrangères étaient contrôlées par les gouvernements.
Bien que les restrictions sanitaires liées à la Covid-19 ait affaiblie un bon nombre d’entreprises que les États ne souhaitent pas perdre au profit d’entreprises étrangères, il semblerait que ces circonstances ne soient plus évoquées par les pays comme étant la raison principale du grand nombre de mesures mises en place depuis juillet 2020. De plus, alors que la pandémie a provoqué une extension rapide et jamais vu jusqu’à présent de l’attention portée aux secteurs liés à la santé (hôpitaux, laboratoires et autres infrastructures de santé), les projets de réformes plus récents montrent que les secteurs industriels les plus sensibles même avant la crise restent le point de vigilance le plus important des gouvernements en termes d’investissements étrangers. On compte parmi eux le secteur de la défense, le secteur foncier en zones frontalières et à risque, les technologies de pointe, les infrastructures critiques et de santé et les biotechnologies. Si le secteur de la défense oscille entre 70% et 90% d’importance relative au regard des politiques de contrôle des investissements étrangers, les technologies de pointes poursuivent leur progression au rang des priorités. Alors qu’elles arrivaient relativement loin derrière le deuxième secteur du classement (le foncier) dans les années 80, de plus en plus de pays y voient désormais une importance majeure avec 50% des deals contrôlés par les États en 2020, contre seulement 20% il y a 40 ans.
Importance relative des différents secteurs au regard des politiques en matière d’acquisition et de propriété visant à sauvegarder des intérêts essentiels de sécurité (1980-2021)
Ainsi de nombreux pays tels que la République Tchèque, l’Allemagne, l’Italie, la Lituanie, la Fédération de Russie, l’Espagne, la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni ont rejoint le mouvement de durcissement des contrôles. Ces derniers étaient majoritairement exercés par les États-Unis, l’Australie ou encore l’Inde, notamment pour se protéger de l’appétit des entreprises chinoises pour les opérations de M&A cross-border. D’autres pays (Belgique, Brésil, Danemark, Estonie, Irlande, Pays-Bas, Suisse et Ukraine) étudient la mise en place de politiques détaillées et sophistiquées en matière d’acquisition et de propriété visant à sauvegarder des intérêts essentiels de sécurité.
Pourquoi une telle tendance M&A ?
On peut supposer que le nombre grandissant de fusions-acquisitions transfrontalière, passant de 472 en 1985 à 13 872 en 2019 (+2 839%), augmente le nombre d’opérations « cross-border » potentielles dans les secteurs liés aux « intérêts essentiels de sécurité ». Cela expliquerait le nombre de réformes mises en place par les gouvernements pour protéger les secteurs les plus sensibles des puissances étrangères. Cette tendance est aussi affectée par les relations diplomatiques et économiques entre les pays. Par exemple, alors qu’en 2020 la coalition populiste au pouvoir à Rome déroulait le tapis rouge aux Chinois et voulait faire de l’Italie un partenaire du projet de “routes de la soie chinoises” en signant une série d’accords, plusieurs fleurons de l’industrie italienne ont été refusés à des groupes chinois. Début avril, Mario Draghi venait justement de bloquer le rachat du seul fabricant de semi-conducteurs italien basé à Milan LPE. L’entreprise était convoitée par le groupe chinois Shenzhen Investment Holding notamment pour sa technologie de fabrication des puces par épitaxie. Draghi a dégainé ce que l’on appelle en Italie le “Golden power”, une règle d’or instauré en 2012 qui permet à l’État d’interdire le rachat d’une entreprise stratégique. Draghi a aussi souligné que le champ d’application de ce règlement devrait être étendu aux industries telles que l’automobile et l’acier.
Si cette attitude face à la Chine permet à priori de protéger les intérêts de sécurité nationaux, c’est aussi une façon de répondre à sa propre politique d’acquisitions étrangères. En effet, depuis son entrée dans la mondialisation avec son adhésion à l’Organisation Mondiale du Commerce en 2001, sa position très asymétrique en termes d’ouverture n’est pas passé inaperçue. La Chine profite de l’ouverture des autres pays tout en restant elle-même largement fermée, que ce soit de manière générale ou concernant les acquisitions d’entreprises et de technologies.
Les politiques de contrôle sont aujourd’hui considérées comme une base de la protection des États et ne pas en bénéficier est perçu comme une faiblesse. Chaque pays souhaite protéger ses technologies clés, tout en exigeant une réelle réciprocité pour garder leurs marchés ouverts aux États étrangers. D’un autre côté, le durcissement des politiques en matière d’acquisitions étrangères peut nuire aux relations que les pays entretiennent. Une illustration de ce phénomène est la bataille judiciaire engagée par les investisseurs chinois dans le fabricant de moteurs d’avions et d’hélicoptères ukrainien Motor Sich qui demandent 3,6 milliards de dollars à l’Ukraine pour l’annulation de la vente à l’entreprise d’aviation chinoise Skyrizon. Ces derniers ont saisi les sentences arbitrales internationales et espèrent bien être dédommagé par Kiev, qui risque de voir ses relations avec la Chine, pourtant l’un de ses principaux partenaires commerciaux, altérées.
Ainsi la Chine est dotée d’un fort intérêt pour les entreprises européennes. Encore récemment en France, l’éditeur de jeux vidéo Dontnod (créateur de la saga Life is Strange) a fait entrer le géant chinois du jeux vidéo Tencent à son capital. Au Pays-Bas, le géant néerlandais Philips cédait ses appareils électroménagers au chinois Hillhouse Capital pour 3,7 milliards d’euros en mars dernier. Cependant les groupes chinois ne sont pas pour autant les acquéreurs les plus actifs sur le Vieux Continent. Certes, ces derniers ont déjà dépensé 5,7 milliards de dollars (4,7 milliards d’euros) de transactions entre janvier et mai 2021, soit le double de toute l’année 2020, mais cela reste inférieur aux volumes de rachats d’années précédentes telles que 2016 ou 2018, sur la même période. De plus, ces chiffres restent bien loin derrières ceux des États-Unis, premier acquéreur en Europe (99,5 milliards de dollars), comme dans le monde (227 milliards de dollars) depuis janvier. Ces derniers ont cependant observé depuis le début de l’année un record d’acquisitions étrangères sur leur propre sol. A titre de comparaison, la Chine se situe au 9e rang des acquéreurs les plus actifs en termes de montants dépensés avec 15,6 milliards de dollars dans le monde, et Hong Kong au 11ème rang avec 11,5 milliards de dollars. Bien qu’il soit important de préserver les intérêts de sécurités nationaux menacés par des entreprises étrangères et les acquisitions cross-border, contrôler les activités de M&A au niveau national est tout aussi crucial pour les États. En effet, les gouvernements ont tout intérêt à regarder de près les actions et les rapprochements des entreprises nationales desquelles ils dépendent, qu’ils en soient clients ou actionnaires. Pour prendre un exemple très parlant de cette situation est le deal Veolia/Suez lors duquel l’État français a joué un rôle ambigu.
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